UNIVERSITE PARIS VIII SAINT
DENIS
UFR Psychologie Pratiques Cliniques et Sociales
METIS ET MALADE PSYCHOPATHOLOGIE DE L’ ENFANT PHYSIOLOGIQUEMENT MALADE LORSQU’IL EST ISSU D’UN COUPLE CULTURELLEMENT MIXTE |
THESE POUR LE DOCTORAT DE PSYCHOLOGIE
CLINIQUE ET PSYCHOPATHOLOGIE
PRESENTEE PAR CHRISTINE PARISI MANNONI
SOUS LA DIRECTION DE
MONSIEUR LE PROFESSEUR TOBIE NATHAN
ANNEE : 1999
SOMMAIRE
Remerciements p 3
INTRODUCTION p 10-63
A GENESE DE LA RECHERCHE p 10-36
1 La consultation ethnopsychologique p 10
2 L’hôpital p 13
a / L’être de culture p 14
a-1 Premier exemple p 14
a-2 Deuxième exemple p 18
a-3 Troisième exemple p 28
a-4 Quatrième exemple p 33
B POSTULATS - CONSTATS - HYPOTHESES DE TRAVAIL
p 36-51
C METHODOLOGIE p 51-63
1ère PARTIE
LA QUESTION DU METISSAGE
A DONNEES SOCIOLOGIQUES RELATIVES A LA NOTION DE
COUPLES MIXTES p 64-127
1-1 Les enquêtes d’attitude : la rencontre
p 64
1-2 L’intime étranger p 68
1-3 Construction d’un cadre spécifique dans
le couple mixte p 92
1-4 De la mise au monde d’un enfant p 108
1-5 Eléments de conclusion p 125
B OBSERVATION N°1 : MARC, L’ENFANT QUI N’APPARTIENT
A PERSONNE p 127-141
1-1 Etude psychologique de la personnalité
p 127
1-2 Histoire d’une vie singulière p 130
1-3 Approche conceptuelle de la non délimitation
d’identité et du
rattachement à un groupe construit p 134
C REPRESENTATIONS ANTHROPOLOGIQUES DE LA FAMILLE:
MYTHES DE FONDATION, PARENTE, FILIATION p 142-301
De l’anthropologie aux recherches ethnopsychologiques
1-1 Etymologie et concept d’appartenance p 142
1-2 Observation n°2 : Attila : errance entre
généalogies et maladies
p 149
a / Rencontre malencontreuse p 149
b / L’histoire de la maladie p 154
c / La recherche du groupe p 159
d / Attila ou la recherche d’une ethnie
hospitalière p 163
1-3 Concepts méthodologiques de l’évolution
culturelle des ethnies
opposition nature/culture et prohibition de l’inceste
p 166
1-4 Observation n°3 : Natacha ou l’enfant
de l’inceste p 181
a / Epouser la plus proche p 181
b / Généalogies p 193
c / Analyse des comportements transgénérationnels
p 199
d / La représentation corporelle support
de la
problématique identitaire : du diagnostic médical à
l’affiliation p 206
e / Voyage vers la double délimitation
p 209
f / A qui appartient Natacha ? p 210
1-5 L’institution matrimoniale et ses règles
p 213
1-6 Des systèmes de parenté p 224
1-7 Observation n°4 : Sulimane : l’enfant sans
parenté p 242
a / De l’histoire du couple : la mésalliance
p 243
b / Sulimane et sa maladie p 255
c / Sulimane et le don p 258
d / L’enfant non affilié, l’enfant
fragile p 263
1-8
Les contenus et fonctions de la parenté dans les sociétés
p 266
D LA LANGUE ET SES FONCTIONS p 301-334
1-1 De la connexion entre culture et langue
p 301
1-2 De l’épistémologie des
théories linguistiques p 303
1-3 Du concept méthodologique entre
langue et culture p 311
1-4 De l’approche de l’analyse du discours
p 316
1-5 De la langue comme lieu d’habitation
de l’identité: conception
ethnopsychologique p 325
E CULTURE ET IDENTITE p 335-439
1-1 Du concept d’identité ethnique
comme support du lien entre
identité et culture p 335
1-2 Concepts et théorie ethnopsychologique
des notions de culture et
identité : de la double délimitation
dichotomique p 341
1-3 Observation n°5 : Yohan ou la transgression
transgénérationnelle
de la règle de l’alliance p 348
a / Histoire de la pathologie p 348
a-1 Antécédents médicaux
p 248
a-2 Du système de parenté
de Yohan p 350
a-3 De l’analyse des repères généalogiques
p 351
a-4 Du contenu et de la dynamique psychoclinique
p 354
b / Du processus d’affiliation de Yohan p 364
b-1 A qui appartient l’enfant ? p 364
b-2 L’affiliation et la médecine
p 366
b-3 De la restitution d’un sens p 370
1-4 De la notion de double symétrique et
double identique : réflexions
ethnopsychanalytiques p 373
1-5 Observation n°6 : Harmonie ou l’affiliation
impossible p 379
a / Traumatisme du non sens à l’hôpital
p 379
a-1 De la confusion p 379
b / De l’histoire familiale p 381
b-1 Julienne la « traumatophilique
» p 381
b-2 Jean ou la recherche du double p 387
b-3 La naissance des sorciers p 390
c / Les métis : affiliation au système
général ou sorciers
p 391
c-1 Harmonie ou l’entre deux mondes p 391
c-2 La force de la sorcière ou le
refus d’affiliation médicale
p 395
1-6 De la fabrication d’un petit d’homme : réflexions
ethnopsychanalytiques p 398
1-7 Observation n°7 : Dalila ou l’enfant
exposée p 410
a / Présentation du cas p 410
a-1 De la clinique médicale p 410
a-2 Du contre transfert psychologique p
413
a-3 De l’histoire familiale à l’affiliation
des « expatriés »
p 416
b / De l’exposition à la nouvelle naissance
p 418
b-1 Deuil au pays de Demeter p 419
b-2 Du miroir sans âme à la
frayeur p 423
c / Revenir du pays des morts ou l’accueil en
pays d’exil
p 431
c-1 L’adoption médicale pour Dalila
p 431
c-2 Du constat de réussite thérapeutique
médicale au constat
d’échec thérapeutique ethnopsychologique
p 433
F DES ORIGINES ET DES HOMMES p 439-478
1-1 De la représentation de la génétique
des populations p 439
1-2 De la biologie à la culture p
463
1-3 Observation n° 8 : Emma et Cédric
: même maladie, destins
divergents ou la capacité de passer de
la biologie
à la représentation psychique p
473
2ème PARTIE
LA QUESTION DE L’ENFANT METIS MALADE
A DE LA BIOLOGIE MEDICALE p 486-607
1-1 Ebauche du lien entre filiation et représentation
médicale p 486
1-2 De la fabrication biologique d’un enfant :
nos ancêtres par le gène
p 494
1-3 Observation n°9 : Lorène ou la culture
de la Biologie p 504
a / Introduction p504
b / De l’histoire de la pathologie cardiaque à
l’affiliation
p 506
b-1 Du diagnostic à l’effet diagnostique
p 506
b-2 Le prix de l’identité : le quotidien
et l’extraordinaire
p 510
b-3 De la recherche d’identité à
la reconnaissance p 513
c / Chronique d’une vie ou la perte de la trace
des ancêtres
p 517
c-1 De l’histoire familiale : les données
psychodynamiques
ou Françoise l’étrangère
p 517
c-2 De la rencontre et de l’union p 527
c-3 De la relation mère/enfant p
530
d / Constat du non lignage et approche ethnopsychologique
du soin p 535
d-1 Du diagnostic différentiel ethnopsychologique
p 535
d-2 Du diagnostic psychiatrique aux approches
thérapeutiques multiples ethnopsychologiques
p 539
d-3 A la recherche du rituel initiatique
de délimitation :
le sacrifice humain de l’enfant p 544
e / La part des Dieux, la part des docteurs p
545
e-1 L’espace transférentiel médical
p 546
e-2 Propositions et inductions : l’ancêtre
d’adoption
p 546
1-4 Voyage dans les représentations étiologiques
médicales
d’Hippocrate à nos jours p 549
1-5 Observation n°10 : Mikaïl, l’Ange
de la nature qui erre entre
les mondes p 566
a / Voyage dans les représentations d’appartenance
p 566
b / Parcours dans les représentations médicales
p 574
c / Le devenir de l’Ange : de la marque des soins
sur le corps au
refus de vivre dans sa famille p 579
1-6 Observation n°11 : Tatiana ou l’attaque
du Djinn p 583
a / Etiologie d’une attaque ou tentative de compréhension
p 584
b / De la réalité des souffrances
à l’absence d’affiliation
p 592
c / Du Nissen à la tentative d’arrêter
l’attaque p 598
c-1 De l’installation d’un cadre thérapeutique
transférentiel
au diagnostic ethnopsychologique p 598
c-2 De l’analyse du cadre conceptuel ethnopsychologique
à
la résultante d’un cadre d’affiliation
médicale p 604
B DE LA BIOLOGIE A LA FAMILLE p 608-688
1-1 Approche psychologique et concepts psychanalytiques
de l’enfance
handicapée p 608
a / L’enfant cardiopathe p 610
b / A propos de la mort p 637
1-2 Observation n°12 : Sonia ou la mort de
l’enfant métis p 647
a / Histoire de l’hospitalisation p 647
b / Vivre et mourir à l’hôpital pour
l’enfant métis p 651
1-3 Représentations de destin familial
et maladie p 658
a / Matériau et concepts autour des thérapies
familiales et
systémiques : réflexions p
658
b / Spécificités entres les différentes
approches de thérapies
familiales et leurs liens avec l’étude
ethnopsychologique
p 665
b-1 L’approche conceptuelle des thérapies
familiales
systémiques p 665
b-2 L’approche conceptuelle des thérapies
familiales
psychanalytiques p 671
b-3 Lien avec l’approche conceptuelle ethnopsychologique
p 673
1-4 Observation n°13 : Nazim, l’enfant suspect
p 675
a / Histoire de pertes, histoire d’abandon p 675
b / Le nom du père, le nom banni p 677
c / De l’histoire individuelle au mariage p 679
d / Nazim, l’enfant suspect, l’enfant donné
p 683
e / De l’analyse au constat de la perte d’identité
p 686
CONCLUSION p 689-709
a / Analyses des données cliniques
p 689
a-1 Généralités p 689
a-2 Analyses individuelles p 690
a-3 Tableau récapitulatif des métissages
p 703
a-4 Perspectives p 708
ANNEXES p 710-719
BIBLIOGRAPHIE p720-727
INDEX p 728-731
INTRODUCTION
A GENESE DE LA RECHERCHE
1 La consultation ethnopsychologique
Des chercheurs ont travaillé sur le concept d’identité
: anthropologues, ethnologues, sociologues, psychologues, psychiatres.
Leurs approches sont variées et démontrent que le sujet intéresse
des domaines complémentaires.
La majorité des cultures, des ethnies, des groupes
d’appartenance ont une pensée intériorisée et logique
de la notion d’identité. Bien que pour le monde occidental cette
notion soit totalement liée à une dynamique d’évolution
« intra physiologico-psychologique », tout au long de ma recherche,
je soulignerais la dimension cachée de ce concept ; à savoir,
dimension qui fraye sans cesse avec le monde du Sacré.
Dans la pensée traditionnelle, l’être humain
n’arrive pas « en ce monde » par le fait du hasard. Le «
passage » est inscrit dans une perceptive définie à
l’avance rendant les capacités à « être »
beaucoup plus recevables, concevables, interprétables pour l’individu
lui-même comme pour son milieu ; car là se met en place l’interaction,
le langage de la relation entre l’homme et son partenaire social, entre
l’homme et son environnement.
Bien que nous soyons tous uniques, individualisés
et indépendants, nous sommes rattachés à un mythe
commun de notre groupe d’appartenance, nous sommes placés dans une
logique familiale et groupale, enfin nous sommes inscrits dans un lignage
et nous sommes affiliés. Cette inscription nous donne un rôle,
un tracé, une direction qui s’affinera avec notre évolution
personnelle. Cette idée est fonctionnelle pour le sujet. Lorsqu’un
enfant naît, il entre dans un groupe qui a lui-même ses repères,
ses règles, ses lois proposant un schéma que l’on peut comparer
à un espace dynamique psychique qui s’étaye sur le quotidien,
l’extérieur. Pour cela il faut que les deux parents habitent eux
aussi un espace construit dans leur histoire personnelle. Espace qui leur
a permis d’avoir accès à leur identité. Souvent dans
l’union maritale les deux conceptions se ressemblent, s’accommodent à
tel point que l’espace commun proposé à l’enfant à
naître semble aller de soi. L’enfant se sentira naturellement affilié
à un procédé intrafamilial, intragroupal. Dans le
cas du métissage culturel marital peut-on envisager qu’il existe
une conception de ce type ? Il me faudra définir le mot même
de métis. Il n’est pas simplement la représentation, la juxtaposition
dans le sein familial, de deux cultures qui ont donné naissance
à un enfant métis.
C’est en ethnopsychologie que l’affinement de la compréhension
de cette notion m’apparu des plus adéquates. La clinique, au regard
des éléments culturels, offre un élaboration sur le
sujet. Mon statut de psycho-clinicienne s’intéressant à la
culture me confrontait chaque jour à de nouvelles données
sur le terrain.
Parmi toutes ces familles rencontrées, pas seulement
métissées, si variés que puissent être les diagnostics
posés, une question revenait sans cesse :
« Que viennent récupérer les patients
ici, dans ce cadre interchangeable qu’est la consultation? »
Nous recevions des maghrébins d’Algérie,
du Maroc, des wolofs, des peuls, des soninkés, des serers, des dwalas
du Sénégal, des bambaras, des dogons du Mali, des minas du
Bénin, des bamilékés du Cameroun, des baoulés
de Côte d’Ivoire, des éthiopiens et des antillais...
Nous passions notre temps à détecter les
hétérogénéités. Nous posions comme postulat
de base qu’aucun lien commun ne pouvait rassembler tous ces cas, car tous
avaient leur propre « culture ». Nous-mêmes, thérapeutes,
éclatés, parsemés, sur l’éventail gigantesque
des ethnies représentées dans le groupe de professionnels
que nous étions. Qu’est-ce que ces patients venaient récupérer
dans ce dispositif ? Impossible de répondre à cette question
sans entrer dans le contexte même du travail ethno-clinique.
« L’une des étapes de l’analyse dans la science du comportement consiste en l’étude de l’engagement personnel du savant dans son matériau et des déformations de la réalité qui résultent de ses réactions de contre-transfert, puisque le plus grand obstacle à la création d’une science du comportement qui soit scientifique est le fait, mal exploité que le chercheur est émotionnellement impliqué dans son matériau auquel il s’identifie, ce qui en dernière analyse rend l’angoisse inévitable. »
Les thérapeutes avaient l’étrange sensation
de comprendre un parcours intérieur à chacun, qui semblait
être le seul chemin possible pour la compréhension de l’Etre
en totalité.
Les patients que nous rencontrions en clinique ethnopsychiatrique
avaient souvent eu un parcours sinueux et long et proposaient un tableau
clinique dont les structures thérapeutiques classiques françaises
ne venaient pas à bout.
Mon sujet spécifique sur la notion de métissage
allait prendre racine dans l’élaboration globale de l’être
de culture, de l’identité de l’être humain. Des questions
émergeaient sur la différentiation entre le métis
et celui qui ne l’était pas. Il me fallait partir donc de ce que
je percevais des familles non métissées, de leur parcours,
de ce qui me paraissait être un lien entre le non métissage
familial et l’approche de la maladie ou simplement la place de l’enfant
dans l’institution française hospitalière. Je percevais que
pour comprendre des données sur le sujet du métissage il
faudrait révéler, réintroduire et étayer ce
qui paraissait être la base : l’identité en relation avec
la culture.
2 L’hôpital
Engagée, lors de mon premier emploi, je me suis
rendue compte que cet hôpital de la banlieue nord de Paris brassait
soixante pour cent de familles migrantes. Longue est la liste d’exemples
généraux surgissant de l’expérience clinique en rapport
avec la notion d’identité. Les quatre exemples que je citerais maintenant
n’ont pas un rapport direct avec le sujet du métissage. Toutefois,
il me paraît important de les introduire ici pour une double raison
:
- Je partirais de la notion d’être de culture,
notion générale à tout individu, pour expliquer mon
questionnement sur l’identité de l’enfant métissé.
- Mon travail comprend aussi des registres plus élargis
que celui du métissage familial. Je suis amenée à
rencontrer des familles culturellement différentes de la culture
occidentale, qui plus est de la culture hospitalière occidentale.
C’est en voyant agir, réagir ces familles, que les altérités,
les hétérogénéités avec les familles
métissées me sont apparues. Non pas simplement dans le comportement
de ces dernières mais aussi dans l’approche que le corps hospitalier
propose pour celles-ci. Bien que d’un point de vue méthodologique,
je ne prendrais pas comme groupe contrôle les familles non métissées,
les éléments généraux sur l’approche et le
sentiment d’une famille mettant son enfant à l’hôpital a été
le révélateur de la question qui a surgi. Pour quelle raison,
à l’hôpital, les métis ont une place particulière
? Pour répondre à cette question, il faut décrire
quelques exemples du brassage des représentations culturelles. Exemples,
nous le verrons, qui convergent vers la même idée : lorsque
l’on passe à l’hôpital, il faut pouvoir s’étayer sur
des données intra-psychiques et/ou culturelles, pour pouvoir en
sortir. Moyennant quoi le risque est grand de se voir affilié au
système institutionnel sans même s’en rendre compte.
a/ L’être de culture
a-1 Premier exemple
Un jour, dans les couloirs de l’hôpital, alors que
je discutais avec une amie assistante sociale, cette dernière aperçoit
un homme africain, accompagné de jumelles âgées d’environ
deux ans, réglant des devoirs administratifs à la caisse.
Mon amie me dit, un peu soucieuse :
« Tu sais, ce papa est dans une drôle de
situation ; tu vois, il a des jumelles et sa femme est hospitalisée
en maternité dans l’attente d’autres jumeaux, des garçons
cette fois... »
En la voyant, alors qu’il la connaissait bien, ce papa
s’approche de mon amie et après les salutations coutumières
très chaleureuses - montrant un lien amical entre eux deux - et
une présentation de ma personne, un discours s’installe entre eux.
Assistante sociale : « Alors, ce n’est pas trop
difficile ? Vous avez trouvé une poussette double? Comment allez-vous
faire ?... »
Le père : « Oh madame ! c’est très
dur ; ça va être très difficile; je ne sais pas comment
je vais faire... deux fois deux jumeaux... »
Sensiblement exaspérée par ce discours
plaqué à la demande institutionnelle occidentale, voie sans
issue d’une et unique représentation psychique, sans demander mon
compte, je m’introduis dans la conversation.
Ch. Mannoni : « Vous venez d’Afrique ? »
Le père : « Je suis du Mali ».
Ch. Mannoni : « Peut-être êtes-vous
bambara, ou... »
Le père : « Je suis bambara »
Il est étonné.
Je pense qu’il vient de décliner son identité
comme s’il avait sorti sa carte. D’ailleurs il a insisté sur le
« suis » !
Ch. Mannoni : « Mais chez les bambaras, on dit
des choses, je crois, sur les familles qui ont des jumeaux. » Il
ne répond pas.
Ch. Mannoni : « On dit que d’avoir des jumeaux
ça donne une position très spéciale ; on dit des choses
sur les jumeaux eux-mêmes. » Un sourire inonde son visage.
Le père : « Vous connaissez l’Afrique ?
» Prudence oblige ! Il doit se renseigner sur mes intentions...
Ch. Mannoni : « Un peu, j’ai déjà
parlé avec des bambaras. »
Soulagé par ma réponse et en complète
empathie avec mes pensées, il énonce.
Le père : « C’est vrai, vous avez raison,
je ne devrais pas me plaindre ! Là bas, au pays, quand des jumeaux
arrivent dans une famille, on fait une grande fête. Les jumeaux c’est
aussi une bénédiction de Dieu... »
Ch. Mannoni : « Les jumeaux, c’est pas des êtres
comme tous les autres ; on les admire, on les respecte, on les craint,
on les protège beaucoup, n’est-ce pas ? »
Le père : « Une famille qui a des jumeaux,
elle est à la fois très forte et très fragile... »
Ch. Mannoni : « Oui, c’est vrai. Ils le savent
au pays que votre femme attend encore des jumeaux ? »
Le père : « Les plus proches, oui ; ils
sont très contents. Déjà pour les filles on a dû
faire une grande cérémonie ; on est retourné au village
et il y a eu plusieurs jours de fête pour faire correctement les
choses...alors vous imaginez, pour les garçons. »
Faisant très attention à ma réponse
pour ne pas susciter chez lui l’idée d’une mauvaise intention ou
d’une envie de ma part, je souris. Il reprend, visiblement ému et
satisfait de notre conversation.
Le père : « Vous savez, quand je suis arrivé
à Paris et que je rencontrais une famille de chez moi avec des jumeaux,
dans la rue, je sortais une pièce pour leur donner... Vous savez,
pour l’envie... Aujourd’hui, quand je me promène avec mes deux filles,
c’est les gens qui me donnent quelque chose. » Il éclate de
rire. « Je n’aurais jamais pu imaginer ça ! Au pays,
c’est plutôt un objet ; c’est aussi une pièce, de nos jours...
»
Au Mali, lorsque des jumeaux naissent, la mère
sort dans la rue et fait un jour entier de mendicité. Ceci indépendamment
de la richesse ou non de la famille. C’est une attitude de protection pour
les jumeaux afin qu’ils « survivent ». Toutefois, lorsqu’un
individu donne une pièce en rencontrant des jumeaux dans la rue,
l’idée qui émerge va dans un sens complémentaire.
Il le fait pour se protéger lui-même de « l’envie ».
Il se protège par cet acte, comme on se protège du mauvais
oeil. La pièce devient un élément fétiche.
Ainsi le père me disait en quelques mots condensés deux structures
fondamentales psychiques étayées sur le culturel. Ce qui
lui permit, durant notre brève conversation, d’avoir accès
à ses repères intériorisés. Puis il poursuit
en énonçant toute une série de codes, de valeurs,
de rites culturels de son propre groupe d’appartenance et je me dis en
l’écoutant parler qu’il a suffit que je lui rappelle une règle
propre à son groupe pour que tout le contenu culturel et/ou psychique
émerge.
Je me dis :
« C’est un homme qui va bien - sous entendu psychologiquement
- De plus, il semble très poli, il ne veut pas blesser ou se laisser
blesser, alors il entre dans le discours que lui propose l’institution
française avec ses propres normes, ses propres codes... Deux fois
deux jumeaux, quelle catastrophe, c’est terrible pour l’aménagement
de la vie quotidienne ! Mais quel en est l’enjeu ? N’est-ce pas trop dangereux
de parler comme si ce n’était pas « nous » vraiment
? »
Alors que je songeais à ce qui me paraissait crucial
dans ce dialogue...
Le père : « En Afrique, quand on a beaucoup
d’enfants on est « riche » et encore plus quand c’est des jumeaux,
alors dans mon cas, tout va être fait au pays pour que ça
aille bien... »
Je réponds inch’allah...il répète
inch’allah.
« Tout humain a un psychisme, mais tout humain habite une culture et une langue, est inscrit dans des règles d’alliance et de filiation, etc... Il existe par conséquent dans chaque individu deux systèmes redondants, ayant une structure homologue : l’une interne, l’appareil psychique ; l’autre d’origine externe, la culture. La coexistence de ces deux systèmes a des conséquences logiques considérables. »
Quelquefois la migration entraîne une transgression
de la logique de ces deux systèmes homologues. Nous reviendrons
sur ce processus plus loin.
Il semble que la structure hospitalière propose
un espace spécifique où le discours peut être transformé.
Dans le cas de ce père, l’adaptation au discours institutionnel
semblait de rigueur, comme si l’enjeu en était la perte d’une reconnaissance.
De quel type est-elle ? L’émergence des repères extérieurs
culturels a pris ses racines dans la construction psychique. Dans des situations
où la construction est plus aléatoire, les signes sont attendus
de l’extérieur et souvent du cadre hospitalier. La différence
est notable car elle suppose des alternatives de spécificité
dans le second cas.
« Je sais que je vais bientôt mourir, tué
par mes propres frères. L’alouette, qui parle la langue des Lakotas,
me l’a dit. Cela ne me rend pas triste. L’important est que je meure en
brave, au coeur du combat, sur la terre de mes ancêtres. Je n’ai
rien à me reprocher. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir
pour guider mon peuple, comme la vision de l’aigle me l’avait ordonné.
Je n’ai jamais reculé, jamais baissé les bras... J’ai mené
les miens sur la route du courage, mais le Grand Esprit a voulu que nous
devenions un îlot d’Indiens au milieu d’un lac de Blancs.
Sur des peaux tannées, j’ai peint de mes mains
les exploits qui ont fait de moi un Coeur Fort et un chef. Mais je voudrais
aussi dire par ma bouche ce qu’était un Lakota Hunkpapa avant que
les Wasichous nous enferment dans leurs mensonges. Que ceux qui ont des
oreilles, blanches ou rouges, m’écoutent. »
En lisant ces quelques lignes il me semblait qu’elles
reprenaient la conception globale de ce qu’est un « être de
culture » et de la confrontation parfois dangereuse entre deux espaces
culturels qui se côtoient. Pour soigner des patients appréhendant
la vie sur d’autres registres que celui proposé par l’occident,
il faut s’introduire à minima dans les repères intériorisés
de ces derniers.
a-2 Deuxième exemple
Dans le service d’ORL, nous recevons un jour un petit
garçon africain d’environ trois ans, pour une amygdalectomie. Alors
que l’intervention, assez banale, s’est correctement passée et que
l’enfant est susceptible d’être renvoyé dans sa famille rapidement,
je reçois une demande de la part de l’équipe soignante pour
le rencontrer. En effet, depuis qu’il a été opéré,
il ne veut rien avaler et commence à maigrir. Il est de «
coutume ancestrale », en service de pédiatrie de ne jamais
laisser sortir un enfant qui ne mange pas. Comme si la peur d’être
à la source d’un trouble de l’alimentation plus tard, ou plus grave
encore - qui sait - planait dans le fantasme du groupe soignant ! Je pense
à ce moment là que lorsque la gorge est le lieu de l’intervention
chirurgicale, on a le droit de ne pouvoir avaler.
Devant mon scepticisme, l’infirmière ajoute :
Infirmière : « Tu sais, il y a quelque chose de spécial et peut-être d’important ; il faut que tu ailles le voir ; il ne regarde pas dans les yeux ! »
Soudain le cadre a basculé. J’entre dans le fantasme à « ciel ouvert » de cette infirmière avec qui je travaille généralement en grande complicité et qui sait détecter les troubles de l’enfance - troubles généraux qui peuvent être liés à l’hospitalisation ou à une structure identitaire défaillante et ancienne - S’agirait-il d’un enfant autiste ? Auquel cas il faudra déployer les investigations psychocliniques adéquates.
Je rencontre donc cet enfant dans des circonstances des
plus aléatoires. Je ne connais rien, ni sur sa famille qui n’est
pas présente, ni sur son identité ethnique, si ce n’est qu’il
est originaire d’Afrique Noire.
J’entre dans la chambre. Je me trouve en présence
d’un enfant calme, mais il n’a même pas tourné la tête
vers moi à mon arrivée. Il est assis sur son lit, fixe la
télévision avec un air de stupéfaction totale. Ses
yeux sont grands ouverts sur un écran qu’il ne semble même
pas percevoir. Je me dis :
Ch. Mannoni : « On dirait qu’il pense: il faut bien
regarder quelque chose !... »
Je m’approche et commence un discours rationalisé.
Ch. Mannoni : « Bonjour, (je me présente),
tu sais, les infirmières m’ont parlé de toi. Elles sont très
inquiètes, surtout la dame que tu vois aujourd’hui ; la dame blonde.
Elle se demande pourquoi tu ne veux pas manger. Tu sais, quand tu mangeras
bien, alors les docteurs te laisseront sortir. Je pense que tu veux retourner
à la maison, etc... »
L’enfant ne bouge pas. Son regard est toujours fixé
sur l’écran.
Une pensée brutale et incompréhensible
en l’état des choses, m’envahit.
Ch. Mannoni : « Il n’est pas autiste ; ce n’est
pas cela, l’autisme ! »
Quelle pensée ! Pourquoi donc, à ce moment
précis, j’énonce une telle « vérité »?
Toutefois cela ne me donnait pas la réponse à ce que j’étais
venue chercher ou même, l’évocation d’une approche diagnostique.
La seule perception floue qui émergeait était
celle-ci :
Ch. Mannoni : « Ce regard fixe sur un écran
vide, c’est la frayeur ! Pourtant, je sens qu’il m’a vue. C’est d’ailleurs
pour cela qu’il ne tourne pas la tête. »
Après cinq minutes de monologue, la souffrance
se propageant du transfert au contre-transfert, je sors de la chambre.
Démunie, je dis à l’infirmière :
Ch. Mannoni : « Je ne sais pas, je vais réfléchir,
je reviendrai dans la matinée le voir... »
J’avance, perplexe, puis je me retourne brutalement :
Ch. Mannoni : « Mais il n’est pas autiste... »
Elle semble soulagée. J’affronte alors le quotidien
de mes consultations et durant les quelques heures qui séparent
la première rencontre avec cet enfant de la seconde, je ne peux
m’empêcher de songer à lui.
Qu’essaye-t-il de nous dire ? Quel est le mode d’échange
le plus cohérent avec lui ? Il ne parle pas. Comprend-il le français
? Je tourne et retourne les phrases énoncées par l’infirmière.
« Il ne veut pas manger. Il ne parle pas. Il ne
regarde pas dans les yeux... »
La solution est là, dans ces paroles. Qu’a-t-elle
senti ?
Mon esprit est focalisé sur cette incompréhension.
Je revois les images.
« Il fixe un écran, mais comme s’il était
vide...un contenu vide... »
L’élaboration continue de courir...
« Une pensée vide...un discours vide...mais
pourquoi tout ce vide ?
Soit parce qu’il est lui-même « vide »
(sous entendu dépressif), soit parce qu’il n’existe aucun lien entre
ce qu’il a à l’esprit et ce qu’il voit à l’extérieur
(sous entendu dans le cadre de l’hôpital).
Cela donne donc une représentation, un cadre,
une image « vide. »
En fait, je suis en train de dire que c’est le lieu lui-même
qui est vide de sens.
C’est un petit garçon de trois ans. Peut-être
ne va-t-il pas encore à l’école. Certainement est-il encore
dans le cocon maternel. Peut-être que sa mère ne lui parle
qu’en langue maternelle ; cette langue qui est un cadre compréhensible
pour lui.
« On le sait, la langue est le bien le plus spécifique d’un groupe social et contient son âme, sa dynamique, sa créativité. De la même manière, pour un individu, sa langue maternelle est le lieu d’où diffuse son sentiment d’identité. »
Ou encore
« Je ne choisis pas de parler, je parle ! Je ne choisis pas la langue dans laquelle je commence à parler, je ne peux parler que celle que j’entends. Si je refuse l’illusion contractuelle associant une langue à un univers, je n’ai d’autre choix que l’autisme. »
Mais il n’était pas autiste. Alors était-il
en train de perdre toute l’appréhension de son identité profonde
à cause d’un monde extérieur qu’il ne reconnaissait
pas ? Et bien évidemment, le symptôme passait
par la langue. J’avais l’impression qu’il me comprenait verbalement mais
non pas affectivement. Sa langue intérieure (et certainement investie
et parlée) ne faisait pas partie de mon univers. Sa langue à
lui s’associait certainement à un autre univers. Sa langue, il l’avait
vraiment habitée mais elle ne correspondait aucunement au cadre
que son corps « habitait » durant cette hospitalisation. Il
existait un décalage monumental ouvrant l’affect sur un gouffre
énorme, sur une incompréhension, sur un décryptage
impossible...
Il n’était pas autiste, mais il devenait solitaire,
isolé, sauvage non par symptomatologie psychiatrique, mais par incapacité
sociale et culturelle à communiquer. Quand deux systèmes
se rencontrent, à cet âge là, on ne peut en habiter
qu’un seul et c’est systématiquement celui que l’on connaît
le mieux. L’autre espace, on le nie, on le renie, on le dénie. Cela
fait de nous un individu qui semble être démuni de liens intérieurs.
Cela fait de nous un individu « clivé » au sens psychanalytique
du terme. Mon élaboration continuait.
J’avais eu le sentiment qu’il m’avait compris, simplement
d’un point de vue linguistique ; tels les mots qui mis les uns derrière
les autres forment une phrase.
Je songeais encore que ses parents ne venaient pas dans
la journée ; certainement parce que son père travaillait
et que sa mère s’occupait d’autres enfants et peut-être d’un
plus petit. Je pensais cet enfant dans un état de fragilité
extrême, ayant perdu tous ses repères, toutes ses représentations.
Il n’y a que dans ces moments de perte que l’on perçoit la nécessité
vitale de la coordination du dedans et du dehors, d’un incontestable travail
de lien entre le monde de l’intérieur et celui de l’environnement.
L’enjeu d’une rupture de lien est dramatique. Le sujet est obligé
de réagir en conséquence afin de se protéger de la
sensation d’effritement, d’anéantissement, de disparition de son
moi profond. Ce petit garçon n’a pas pu choisir d’alternative moins
effrayante pour le corps hospitalier. Il se renferme, il se bloque, il
s’exile, il se muraille derrière la non parole, le non contact,
le manque d’échange - même primaire - à savoir :
« Je suis comme ta maman, je te donne la nourriture
nécessaire à ta survie ; soit un bon garçon, mange...
». Il se met à refuser le premier des échanges, la
nourriture...
Cette thèse vous intéresse ,Où se la procurer :
ANRT - Université de Lille -
Domaine Universitaire du Pont de Bois
1 rue du Barreau BP 60149 59653 Villeneuve d'Ascq Cedex
| Tél. : 03 20 41 73 27
NRT
Atelier National de reproduction des thèses, Thèses à la carte
Thèse de doctorat de PARISI MANNONI Christine
Réf ANRT :
32865
METIS ET MALADE. PSYCHOPATHOLOGIE DE L'ENFANT
PHYSIOLOGIQUEMENT MALADE LORSQU'IL EST ISSU D'UN COUPLE
CULTURELLEMENT MIXTE.
Haut du formulaire
1 thèse en stock thèses en stock
Référence :
Bas du formulaire
Identifiant BU : 99PA081641 - 736 pages
-
ISBN : 9782729540623 Couverture -